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Lilie Bagage  

Bonne pâte

–   Dépêche, dépêche.
–   Evite ça, s’il te plait.
–   Quoi donc ?
–   De me répéter constamment la même chose, de me presser alors qu’il n’y a pas le feu ; on a encore du temps.
–   Non, justement, elle a faim.
–   Et bien ? Elle doit attendre, comme tout le monde. Elle apprécie quand c’est al dente, et pour cela il faut un entre-deux : y aller doucement, pas trop vite, juste ce qu’il faut, et s’arrêter au bon moment.
–   Au lieu de parler, tu devrais te dépêcher. Ding ! tu entends ça ? C’est le temps qui s’égraine. Bientôt la fin.
–   Nom d’un tortellini, on ne t’a jamais dit que tu étais plutôt stressant, comme gars ?
–   Je suis là pour ça.
–   Pour nous mettre les nerfs en pelote ?
–   Pour vous apporter la motivation nécessaire dans l’exercice de vos fonctions.
–   La bonne blague ! Tu sais ce que ma voisine de palier m’a avoué, l’autre jour ?
–   Non, mais tu vas bientôt me le dire.
–   Elle m’a raconté qu’elle avait pleuré toute la nuit après son service. Tu l’as tout bonnement persécutée !
–   Je ne comprends pas du tout ce qu’elle me reproche ; je n’ai fait que mon travail.
–   Mais elle aussi ! Cinq ans qu’elle remplit avec brio toutes les tâches qui lui sont confiées. Elle saisit tout à la perfection depuis qu’elle est ici. Dois-je te rappeler que tu n’es arrivé parmi nous que très récemment ?
–   Qu’est ce que ça signifie ?
–   Qu’on se débrouillait très bien sans toi !
–   Tu me vexes. Ding ! Tu entends ? C’est le son de ma plus-value indéniable.
–   Tu es prétentieux. Ma foi, permets-moi de te dire que ton utilité reste encore à prouver. J’ai l’impression de perdre le fil de mon activité avec tes exclamations. Tiens, quand on parle du loup, il montre sa queue : un premier accroc.
–   Tu ne vas pas assez vite. Elle va être mécontente.
–   C’est tout le contraire ! Il faut que je m’applique, que je sois consciencieuse, que je prenne mon temps sinon le résultat sera gâché, et toi comme moi n’avons pas envie que ça se passe ainsi.
–   Ma conscience professionnelle demeurera intacte.
–   N’as-tu donc aucune sympathie pour nous autres ouvriers, qui trimons tout le jour durant afin de…
–   Tu exagères, là. Tu viens à peine de pointer, et hier tu étais de repos. Et puis, pourquoi m’exclure ? Je fais tout autant partie de la main d’œuvre que vous autres. Nous sommes dans le même bateau.
–   Oh non, toi, tu n’es qu’un ridicule petit chefaillon, totalement superflu.
–   Pas d’insulte, s’il te plait.
–   Tu n’as jamais plongé tes mains dans le cambouis. Tu ne sais pas ce que c’est, et tu oses nous donner des ordres. Tu ne mérites pas notre amitié.
–   Je ne la demande pas. Je n’ai pas besoin de cela pour effectuer correctement mon travail. Néanmoins, je fais partie intégrante de cette équipe professionnelle et je souhaite que ce soit admis par tous, à commencer par toi. Madame est d’accord, elle réagit à mes alertes. En voici une, d’ailleurs. Ding !
–   Elle approche. Je compte dix nouvelles coquilles, là tout au fond.
–   Il ne reste plus que deux minutes. Ca sent le roussi.
–   Tais-toi ! La chaleur est trop forte ; j’ai fait tout ce que j’ai pu jusqu’à présent pour contrebalancer ce paramètre-là, mais le déséquilibre est trop grand. Oh, mais que fait-elle ?
–   Elle me fait confiance pour le temps restant.
–   Elle se trompe ! Elle devrait réagir ! Pourquoi ne reste-t-elle pas là, près de nous ?
–   Elle a vu et repart d’où elle vient, faussement rassurée. Allons, qu’attends-tu ?
–   Pour ?
–   Pour me demander de l’aide, pardi.
–   Vaniteux !
–   Je suis le seul à avoir la voix qui porte, ici.
–   Je ne la comprends plus. Avant, elle s’intéressait à nous, à ce qu’on faisait ici bas. Aujourd’hui ce n’est plus le cas.
–   Aujourd’hui, elle m’a, moi.
–   Oh, balivernes !
–   Peut être, mais tu as besoin de moi, toi aussi.
–   Jamais, tu m’entends ? Jamais je ne te demanderai quelque chose, et sûrement pas un coup de main !
–   Mais, mais… Que fais-tu ? Ca déborde !
–   Tu ne m’en pensais pas capable ?
–   Allons, sois raisonnable, arrête-ça. Tu ne mesures pas ton geste ; nous courons à la catastrophe !
–   Le diner est en danger. Nous sommes déjà en péril. Aux grands maux les grands remèdes.
–   Tu aggraves la situation ! Et si ça disjoncte ?
–   Exactement ce que je souhaite obtenir ! Je brûle déjà. Nous éviterons l’incendie généralisé.
–   C’est décidé, j’interviens.
–   La voila qui vient.
–   Ding ! Ding !
–   Trop tard, trop tard, ne t’égosille pas. Tu ne sers à rien.
–   Que de méchanceté !
–   C’est de la lucidité. Ah, je respire, la température diminue, nous avons évité le pire.
–   Mais les pâtes…
–   Elle pourra en sauver la moitié et avec un peu de sauce, ce sera toujours mieux que rien du tout. Je passe le relais à l’égouttoir, et je pose mon tablier ! Bonne nuit, Minuteur.
–   A la revoyure, Casserole.

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