[Défi] Cousinage
Il y a quelques mois, on m’a mise au défi d’écrire un récit qui se déroule durant la Préhistoire… Pas simple. La Préhistoire, c’est une période temporelle que je connais peu. Pour ce type de défi, je ne m’accorde généralement qu’un temps d’écriture très restreint et des recherches réduites. Aussi, il a fallu que je compose avec :
1) les restes parcellaires d’une ancienne UE de paléoanthropologie (ça remonte à environ 9 ans)
2) des souvenirs plus ou moins récents d’articles scientifiques
3) quelques pages web parcourues rapidement
Autant vous dire qu’il m’a fallu ruser ! Bon, le défi a heureusement été validé (ouf !), aussi, bonne lecture 😉
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Lui et sa famille parvinrent aux abords de la caverne sous une pluie battante. Les gardes, de vrais colosses, le firent pénétrer seul dans la demeure de leur chef pendant que femmes et enfants patientaient sous le courroux du ciel.
Manifestement, il était attendu. Ses hôtes avaient dressé le couvert.
– Ah, cher cousin, bienvenue ! Tu es venu seul ?
– Non, j’ai laissé ma petite troupe à l’extérieur. Ils sont tous un peu claustrophobes.
– Oh, avec un temps pareil, c’est bien dommage. Du thé ?
– Avec plaisir.
Il récupéra le bol qu’on lui tendait, et en sirota doucement le contenu. Son hôte reprit :
– La météo n’est plus ce qu’elle était.
– C’est vrai ! Bientôt la saison estivale, et le ciel est tapissé de gros nuages noirs. Ca ne donne pas envie d’aller faire trempette dans le grand Lac.
– Je ne te le fais pas dire. Nous avons d’ailleurs repoussé nos vacances, avec mon clan. Prendre la route par si mauvais temps, c’est risqué.
– Certes.
– Et puis le gibier se fait plus rare, par météo maussade, alors les en-cas de voyage sont plus tristes.
– Tout à fait. Mais, m’as-tu vraiment convié pour parler prévisions climatiques ? Parce que, si c’est le cas…
– Non. Tu as raison, venons-en au fait.
L’hôte se mit à genoux, et soulevant une superbe peau de loup, découvrit un trésor sous le tapis. Un geste auquel son invité réagit avec virulence :
– Oh non, pas encore…
– Attends, cousin, laisse-moi parler.
– Mais nous avons déjà abordé ce sujet cent fois ! Et tu sais très bien quelle est notre position là-dessus. Ma fille n’est pas intéressée.
– C’est qu’elle n’a pas vu tout ceci ! Regarde, laisse-moi te montrer… Ça, là, ce sont de véritables coquillages en provenance de la mer du sud. Ici, des dents de castor peintes. Là, des os de chat sauvage. Et tous les pigments ont été concoctés par nos soins. Mes deux fils ont bien passé trois cycles de lune à les concevoir. Un véritable travail d’orfèvre…
– Nous reconnaissons vos talents.
– Alors ?
– Là n’est pas la question. Ce que tu me demandes ne s’achète pas.
– Mais enfin, tout tout TOUT se monnaye, mon cher ami ! Tes pagnes, les fourrures de tes femelles, l’amour…
– Non. Comprends que… Que j’ai des principes.
– Balivernes !
– Mais si, voyons. Je te le redis, ma fille n’est pas tentée. Et je me refuse à aller contre sa volonté.
– C’est absurde !
– C’est progressiste.
– Cousin, je ne saisis pas ton entêtement à refuser une fortune. Vois, vois cet échantillon flamboyant ! Et dis-toi que ces merveilles ne sont qu’un maigre aperçu de ce que je peux t’offrir.
– Mais il faudrait pour cela que je te cède ma fille.
– C’est oui ?
– C’est non ! Triple non !
– Voyons. Qu’est ce qui cloche, hein ? Ton clan deviendrait riche. J’ai ouï-dire que vous aviez quelques difficultés, en ce moment. Ce n’est pas tout rose, dans la grande plaine. Les Sapiens se marchent dessus pour la cueillette, résultat ça finit souvent en bagarre généralisée au petit déj’… Idem pour la carne. Vos soupers sont rudes, il parait. Nous, on ne rencontre pas ces soucis-là. Ici, autour de la caverne, on a de la viande à plus savoir qu’en faire ! Et sans mentir, nos chasseurs sont plus aguerris que les vôtres, plus résistants et plus ingénieux… Et puis, avec ces bijoux, tu pourrais corrompre certaines hordes adverses, en chasser d’autres, et ainsi réduire la casse. T’acheter une paix pour ta famille. Pense à tes réserves hivernales, l’ami ! Je peux t’aider.
– Ce n’est pas du soutien, c’est du marchandage.
– Appelle cela comme tu veux, le fait est que ça peut vous sortir de la mouise, et que tu refuses de le reconnaitre.
– Oh, ne t’en fais pas, je suis d’accord avec toi sur ce point : nul doute que les saisons futures seraient plus douces avec la cagnotte que tu nous promets. Mais je finirais par crever sous le poids de la culpabilité d’avoir abandonné ma fille à… à… Bref, de l’avoir abandonnée. Sans parler du fait que j’entendrais les jérémiades de sa mère toute la Sainte journée. Alors c’est non. Et puis je ne vois pas du tout ce que tu as à gagner là-dedans ! C’est une teigne, ma gamine !
– Peut-être, mais nous sommes en manque de jeunes femelles, par chez nous. Le sort décide de les faire toutes mourir en couches.
– Fichtre.
– J’ai perdu ma cadette la semaine dernière.
– Mince. Mes sincères condoléances.
– Bien aimable. Bon, peux-tu me dévoiler, au moins, ce qui retient autant ta fille ?
– Je ne sais pas si je dois.
– Allons, cousin, je ne suis pas homme à me laisser brusquer par l’avis d’une adolescente. Que dit-elle ? Sur mon aîné, par exemple.
– C’est inconvenant.
– Mets les formes. Pour moi. Je t’écoute.
– Elle… Elle trouve que physiquement…
– Oui ?
– Elle trouve qu’il a le front un peu plat, la face un peu trop prognathe et, disons-le tout net, qu’il ressemble à un gorille.
– Grmpf.
– Et qu’il grogne un peu trop, aussi. Comme tu viens de le faire. Il faut avouer que vos manières ont toujours été un peu rustres…
– Les raisons sont génétiques.
– Je sais bien.
– A côté de cela, nos p’tits gars sont robustes, endurants ! Dis-lui, dis-lui ! Ils peuvent tenir des heures et des heures à…
– …
– Ils sont très doués de leurs mains et… Quoi ? QUOI ?
– Raison ou pas, elle ne le trouve pas à son goût ! L’attirance, ça ne se contrôle pas vraiment. Bon euh… Je ne vais pas abuser plus longtemps de ton hospitalité… En plus, ma famille m’attend, là dehors, par ce temps de chien…
– Hmm.
– Ecoute, pense bien que je suis désolé, vieux.
– Hmm.
– Tiens, pour te faire plaisir, je lui en toucherai un mot une fois de plus, à ma Violette. Je ne te promets rien, bien entendu, tu sais comme elle est têtue…
– Non mais je comprends, t’en fais pas, cousin. Nous les Néandertaliens, on n’est pas assez bien pour vous.
– Ce n’est absolument pas ce que j’ai dit ! Tu as mal compris…
– Ah oui, bien sûr, parce qu’en plus d’être moches, on est un peu cons, c’est ça ?
– Voyons, Néand’ !
– Tu sais ce qui va se passer ? Un jour, et peut être un jour pas si lointain que ça, moi et mes congénères, on va disparaitre du coin. Ouais, on va se barrer, tu vois. On va vous laisser là, la face plantée dans la mouscaille, à vous bouffer le nez pour vos graines et vos fleurs, entre vous, et à vous chamailler pour un morceau de prairie. Et à ce moment précis, tu t’en mordras les doigts jusqu’à tes premières phalanges de ne pas avoir voulu marchander avec ton cousin. Je ne serai plus là pour te sauver les fesses durant les hivers rigoureux. Je ne te montre pas le chemin.
– Je sais où se trouve la sortie… Euh, Néand’?
– Quoi ?
– … Ça tient toujours pour la partie de pêche de demain ?
anoalios
Je suis fan, c’est bien drôle !